L’expérience du visage impassible et la théorie de l’attachement

En visionnant la vidéo ci-dessous, découverte sur le blog de Marie Charbonniaud, nous avons réalisé à quel point le manque de communication ou le manque d’attention que les parents portent à leurs enfants, peut entraîner de graves troubles du comportement.

Cette vidéo pourrait presque se passer de commentaires : dès que la mère cesse de donner de l’attention à son bébé, de réagir à ses tentatives de communication, le comportement de l’enfant change radicalement : il devient tendu, stressé et perd même le contrôle de lui-même.

Pour ceux d’entre vous qui ne sont pas forcément à l’aise avec l’anglais, nous avons traduit la vidéo. Si les sous-titres n’apparaissent pas, cliquez sur l’icône « cc » au bas de la vidéo.

Cette expérience du « visage impassible » est directement liée à ce que John Bowlby a appelé « la théorie de l’attachement ». Selon cette théorie l’enfant, dès sa naissance, utilise toutes ses capacités pour maintenir une proximité avec des adultes protecteurs (ses parents), dans le but inconscient de lutter contre les dangers de l’environnement, et donc de contribuer à sa survie.

En faisant quelques recherches sur internet, nous sommes tombés sur une publication d’Anne Carpentier, que nous vous reproduisons ici et dans laquelle elle explique en détail cette théorie de l’attachement.

En lisant cet extrait, nous avons à nouveau réalisé à quel point nos comportements et nos attitudes de parents favorisent (ou non) le bon développement, la socialisation et la confiance en eux de nos enfants.

Cette lecture nous rappelle aussi que certains comportements qui nous « agacent » chez nos enfants, ne sont en fait que des tactiques qu’ils mettent en place inconsciemment pour « nouer un lien d’attachement avec nous » : Les bébé pleurent pour retrouver la proximité avec le parent, plus tard certains sont « toujours dans nos pattes » etc…

Anne Carpentier explique aussi qu’il est d’autant plus difficile (mais pas impossible !) de nouer correctement ce lien d’attachement avec son enfant, quand on ne l’a pas nous même connu dans notre enfance. Elle rejoint sur ce point les enseignements d’Isabelle Filliozat dans son livre « Il n’y a pas de parent parfait ».

L’extrait ci-dessous provient de la fiche pratique « Les étapes du développement de l’enfant » (chapitre 3 – la théorie de l’attachement), écrite par Anne Carpentier. Anne Carpentier est psycho praticienne Gestalt thérapeute et supervise pour Inter Aide les programmes sociaux & psychosociaux menés à Manille aux Philippines. Elle est aussi responsable du Réseau Pratiques.

La théorie de l’attachement


Les observations de René Spitz
ont montré que si l’on prend soin de bébés (nourriture et soins physiques adéquats) sans établir avec eux un contact affectif, les enfants dépérissent et peuvent aller jusqu’à se laisser mourir. Spitz a utilisé le terme « hospitalisme » pour décrire l’état d’enfants dépérissant à l’hôpital ou en institution, alors qu’ils étaient nourris, tenus propres et installés dans des berceaux adaptés. Le syndrome d’hospitalisme peut inclure. On sait depuis que c’est le manque de contact affectif, la carence relationnelle, qui est à l’origine de ces troubles.

Etablir une relation affective, un lien d’attachement, avec un autre être humain, est donc un besoin vital. « Nous sommes nés pour former des liens d’attachement, nos cerveaux sont construits pour se développer en tandem avec un autre cerveau humain, à travers la communication émotionnelle, avant même le développement du langage » dit Allan Shore, un neuropsychologue et neuropsychanalyste américain contemporain.

La théorie de l’attachement de John Bowlby trouve ses racines dans la théorie darwinienne de l’évolution: le système d’attachement, en permettant de maintenir une proximité avec des adultes protecteurs, sert dans la lutte contre les dangers de l’environnement, et contribue donc à la survie de l’enfant.

Tout ce qui favorise la proximité, en donnant un sentiment de sécurité, appartient au comportement d’attachement. 5 types de comportements d’attachement sont observables :

De la naissance à deux mois, les comportements de sourire et de vocalisation sont des comportements de signalisation montrant à la mère (aux parents) l’intérêt de son enfant pour l’interaction.

Pleurer est un comportement de type aversif qui amène la mère à se rapprocher de l’enfant et prendre soin de lui de manière à ce que les pleurs s’arrêtent.

Vers deux mois s’ajoute le comportement de s’accrocher (s’agripper).

Plus tard, de suivre en marchant à 4 pattes qui vise également à maintenir la proximité avec la figure d’attachement.

Ainsi se développe une sécurité de base, qui permet l’exploration, l’enfant retournant vers la mère recherche du contact en cas de stress.

La figure d’attachement est une personne vers laquelle l’enfant dirigera son comportement d’attachement ; c’est le plus souvent la mère, si c’est elle qui s’occupe de l’enfant. Mais toute personne qui s’engage dans une interaction sociale animée et durable avec l’enfant est susceptible de devenir une figure d’attachement, que ce soit un homme ou une femme. Il existe donc plusieurs figures d’attachement qui seront hiérarchisées en fonction des soins qu’elles apportent à l’enfant et de la qualité de l’interaction. L’enfant à une tendance innée à s’attacher spécialement à une figure, ce qui signifie que dans un groupe stable d’adultes, une personne deviendra la figure d’attachement privilégiée.

La relation d’attachement se construit progressivement et est modelée par l’environnement social.

Le petit se tourne préférentiellement vers la figure d’attachement privilégiée pour chercher du confort, du soutien émotionnel et de la protection, en même temps qu’apparaissent l’angoisse vis-à-vis de l’étranger et la protestation en cas de séparation, deux signes de l’existence d’un attachement préférentiel. Mary Ainsworth définit ainsi 4 caractéristiques qui distinguent les relations d’attachement des autres relations sociales :

– La recherche de proximité,

– La notion de base de sécurité (c’est-à-dire exploration plus libre en présence de la figure d’attachement),

– La notion de comportement refuge (retour vers la figure d’attachement quand le bébé perçoit une menace ou se sent en danger),

– Les réactions marquées vis-à-vis de la séparation

Le lien d’attachement se réfère aux connexions émotionnelles entre les personnes qui sont en relation d’intimité. Dans le contexte de la théorie de l’attachement, la notion de base de sécurité signifie la confiance dans l’idée qu’une figure de soutien, protectrice, sera accessible en cas de stress, danger ou désarroi,et ceci quel que soit l’âge de l’individu. On voit comment la proximité physique, nécessaire au début de la vie, devient progressivement un concept mentalisé et émotionnel. Si l’enfant a construit une base de sécurité alors il peut explorer le monde qui l’entoure en confiance.

A partir de ces observations, Mary Ainsworth a classé les types d’attachement en 3 catégories principales, avec une typologie spécifique de la relation avec chaque parent :

– « l’attachement sécure, est celui dans lequel l’enfant manifeste sa détresse à la séparation, mais peut être calmé rapidement par les retrouvailles. Ce type d’attachement est mis en relation avec des interactions stables, cohérentes, dans lesquelles le parent représente une base sûre pour l’enfant, à partir de laquelle il peut explorer. Ce type d’attachement est significativement associé à la réussite scolaire, mais aussi à la capacité d’avoir de bonnes relations avec ses pairs, à l’empathie et à l’absence de réactions violentes.

– L’attachement insécure évitant (Avoidant), l’enfant évite de regarder le parent ou de s’adresser à lui en situation de détresse ou d’incertitude, ayant intégré au cours des interactions antérieures qu’il ne peut s’adresser avec succès au parent quand il est en détresse; ceci serait associé à un style d’interaction du genre « débrouilles-toi tout seul, surtout lorsque tu as besoin de moi »;

– L’attachement insécure résistant, dans lequel l’enfant s’oppose physiquement au besoin de réconfort et de retour à la base sûre, alors qu’il donne le sentiment qu’il en a tout à fait besoin. Ce type d’attachement serait en rapport avec une interaction variable, imprévisible, alternant les capacités à réconforter l’enfant et le refus.

– Une 4catégorie été indentifiée par Mary Main, collègue de Mary Ainsworth :l’attachement désorganisé dans laquelle aucun type discernable n’apparaît, et où l’on peut observer des comportements incohérents ou imprévisibles ; d’autres comportements (balancements, se frapper…) peuvent également être observés. Cette catégorie semble bien correspondre aux abus et négligences dans l’interaction. 80% des enfants victimes de violence ou d’abus ont un style d’attachement désorganisé. Des études montrent aussi que 56% des mères qui ont perdu un parent durant leur enfance ou adolescence ont des enfants ayant un style d’attachement désorganisé.

Car le type d’attachement tend à se transmettre d’une génération à l’autre. Par exemple, dans la mesure où le parent a été amené à exclure défensivement certaines informations (en niant par exemple le sentiment d’avoir été rejeté par ses propres parents), il ne peut y être sensible chez les autres, et en particulier chez son enfant. Cette insensibilité non-intentionnelle l’empêche de réguler son comportement en fonction de ce qu’exprime son enfant, et le conduit à répéter avec lui des attitudes peu sécurisantes. Les besoins de l’enfant ne sont ainsi pas pris en compte, ce qui l’amène à être confronté aux mêmes types d’émotions que celles que son parent a dû affronter et le poussent à développer des défenses similaires. Cette transmission n’est pas une fatalité et peut être évitée par le parent par une révision de son « modèle interne opérant ». Mais cette révision ne va pas de soi et nécessite une difficile remise en question des propres modes d’appréhension des relations. Un milieu sécurisant peut aider à cela. Se sentant sécurisée et aimée, la personne est plus à même de revenir sur les moments douloureux de son passé qui l’ont poussé, autrefois, à figer ce modèle interne opérant pour se défendre contre l’intolérable (par exemple le fait d’avoir été abandonné), en excluant des informations trop douloureuses, et ce faisant, en figeant ce modèle sans le « mettre à jour » dans les nouvelles interactions avec l’environnement.

Beaucoup d’études, réalisées à travers le monde, montrent avec une grande constance que la majorité

(65%) des enfants ont un attachement sécure, 21% montrent un style d’attachement insécure-évitant et 14% insécure-ambivalent. Dans certaines sociétés traditionnelles où la multiplicité des figures d’attachement est généralisée, l’attachement sécure reste corrélé à la qualité et à la constance du lien mère-enfant : il semble que ce soit les soins apportés la nuit par la mère (qui seule la nuit s’occupe de son enfant) qui créent une relation privilégiée entre la mère et l’enfant.

Bravo à tous ceux qui seront arrivés jusqu’ici ! 🙂 Si l’article vous a plu, n’hésitez pas à le partager avec vos proches.

Camille et Olivier

8 réflexions sur “L’expérience du visage impassible et la théorie de l’attachement

  1. Putain, la mère elle fait comment pour pas pleurer devant son gamin, ça m’a foutu les boules.
    Très très bonne vidéo, c’est étonnant!

  2. C’est ce que j’allais dire ! Je suis une grande sensible, j’avais presque les larmes aux yeux et me disais, mais p***** arrête l’expérience, c’est cruel !

  3. Merci beaucoup pour ce bel article, comme toujours très bien documenté et très enrichissant!!! Je suis très contente que l’on revienne sur cette théorie qui me semble-t-il n’est pas suffisamment connue du grand public… reste que si certains éléments sont criants de vérité, elle n’est pas toujours évidente à rendre compte dans le quotidien, à mon sens du moins… (par exemple: comment savoir concrètement comment générer un attachement « secure » (considéré comme étant le meilleur atout dans le développement de l’enfant), comment faire quand ça ne marche pas, comment éviter de culpabiliser les mères face à ces normes, etc…).
    Bref, comme vous vous en doutez, je n’ai pas tenu jusqu’au bout de la vidéo que je connaissais déjà en partie… mais je me demande dans combien de situations d’énervement, de fatigue, de surmenage, nous offrons sans même nous en rendre compte à nos enfants des visages impassibles…???

    • Le fait de « savoir », de prendre conscience que cela a un impact sur nos enfants nous aide déjà certainement à faire des efforts…

    • Cette théorie de l’attachement est bien connue (mais pas toujours comprise) chez les parents par adoption, l’attachement à plus a voir avec un sentiment de sécurité que d’amour, du moins au départ.

  4. j’adore! ça me rassure sur le fait que justement je suis « madame expressions » et que même je pleure etc devant ma mini miss…héhé par contre je ne suis pas celle qui lui ai donné le plus à manger, etc à la naissance (papa poule) et maintenant c’est vrai que je suis SA personne de référence number one…je me demandais justement d’ou ça venait…maintenant je sais ;-)

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